La question n’est pas si le secteur de la construction va passer à l’impression 3D, mais quand
Le projet a suscité un tel intérêt au niveau international qu’il a déclenché une véritable guerre pour lancer les premières imprimantes commerciales sur le marché. Et c’est une bonne nouvelle car la technique offre énormément de possibilités pour le marché de la rénovation et de la restauration.
Pour ceux qui sont passés à côté, pouvez-vous nous expliquer brièvement votre projet et en quoi c’est une véritablement primeur?
“Avec ce projet, Kamp C voulait encourager le secteur belge de la construction à implémenter dans ses techniques de construction l’innovation qu’est l’impression 3D de béton. L'impression 3D peut être un outil précieux en construction comme en rénovation et nous aide aussi à atteindre un autre objectif, à savoir la réduction du CO2. La construction et particulièrement l’utilisation du béton – extraction, carbonisation et transport –, est un grand consommateur. Dans ce projet subsidié par l’Europe, nous sommes parvenus, en 15 jours et avec plusieurs étudiants de dernière année de la haute école Thomas More de Geel, à réaliser pour la première fois le gros-œuvre complet d’une maison en béton en utilisant une Grantry, la plus grande imprimante à béton 3D d’Europe, et le mélange béton 3D de Weber Beamix. Initialement, il y a 4 ans, nous n’avions pas l’intention d’imprimer une maison complète mais une fois que le projet a été bien lancé, nous avons eu envie de réaliser quelque chose de spectaculaire. Et ça a eu son effet. Partout dans le monde, on nous a demandé de révéler notre procédé et ça déclenché une véritable guerre dans le secteur, chacun voulant être le plus rapide à commercialiser les machines et les produits. Chaque jour, je vois de nouvelles entreprises se créer. La question n’est donc plus si nous allons appliquer à grande échelle l’impression 3D dans la construction, mais quand.”
Où en sommes-nous sur le marché de la rénovation?
“Dans le domaine spécifique de la rénovation, on ne l’applique pas encore vraiment pour la simple raison qu'il n’y a pas encore assez d’imprimantes et de sociétés commerciales qui en proposent dans notre pays. Les grandes entreprises de construction doivent déléguer ces applications et elles n’en sont pas encore là. Je dis bien encore, car cela va arriver. Les possibilités sont énormes, surtout en association avec le scanning 3D des bâtiments, qui se pratique déjà à grande échelle. On pourrait parfaitement scanner les éléments des bâtiments à rénover, les envoyer en format numérique vers une imprimante et les reproduire avec précision. Pensons par exemple aux anciens escaliers tournants, dont chaque marche est sur mesure. Chaque forme – même une voûte arrondie – peut s’intégrer dans les structures existantes.”
Vous avez imprimé en béton. Existe-t-il d’autres options, par exemple pour la restauration ou la conservation de monuments?
“Absolument. Des projets ont été réalisés avec du riz comme liant pour faire adhérer les matériaux naturels ensemble et les utiliser pour l’impression. On a déjà aussi travaillé avec des copeaux de métal, du sable et de la résine. Cela ouvre des perspectives pour la conservation des monuments. Cela permettrait d'imprimer d’anciennes statues abimées. Des recherches sont actuellement en cours, utilisant des résines similaires à la pierre naturelle qui est ordinairement utilisée. Les premières répliques réalisées sont prometteuses. On voit à peine la différence. Le métal aussi permet une impression de grande précision, où on retrouve même les joints de soudure, par exemple. On envisage même le mycélium comme matériau d'impression, afin de recréer certaines moisissures. En principe, on peut imprimer avec n’importe quelle matière, si elle est transportable en format liquide et durcit très rapidement. En rénovation, vous pouvez utiliser une imprimante 3D avec bras robotisé pour fabriquer rapidement et avec une grande précision de nouvelles pièces, telles que murs anciens et voûtes et vous pouvez même y imprimer des conduits pour la ventilation, l’électricité et l’eau. Vous pouvez aussi commencer par des prototypes ou, pendant la conception, imprimer différentes maquettes en 3D pour faciliter les négociations avec les administrations communales et les organisations en charge du patrimoine.”
Mais si je comprends bien, la plupart des réalisations sont encore en phase expérimentale?
“C’est vrai. L’année dernière, dans le cadre d’un projet de KOKON architectuur & stedenbouw, la société néerlandaise Bruil a relooké deux immeubles à appartements des années ‘70 en utilisant l'impression 3D pour réaliser des éléments en béton pour les balcons. Ils sont spécialisés dans les panneaux de façade en béton architectonique, ils ont leur propre hall d’impression et plusieurs imprimantes. C’est actuellement la seule application commerciale en rénovation que je connaisse mais étant donné son succès, je pense que ça va vite progresser. Ainsi transformés, ces immeubles insipides, monotones sont méconnaissables. La méthode est en outre rapide, et en fait de superbes bâtiments sculpturaux avec le cachet moderne d’une construction neuve de qualité. Un exemple splendide et tout à faire unique de durabilisation. Le grand avantage de l’impression 3D en rénovation, c’est sa précision. Les vieux bâtiments sont rarement tout à fait droits ou semblables. Le scanner 3D mesure (chaque pièce) avec exactitude, ce qui permet d’imprimer correctement, au millimètre près. Surtout au vu de l’évolution des têtes d'impression, qui vont jusqu’au dixième de millimètre et même plus fin. À titre de comparaison: pour notre bâtiment, le gros-œuvre a été imprimé avec une tête d’impression de 4 à 5 cm.”
En dehors de la précision, quels sont les principaux avantages de l’impression 3D?
“La durabilité, pour commencer. Le PLA, le plastique utilisé actuellement dans les petites imprimantes, est recyclable à l’infini. Le festival de Boom, par exemple, ne savait pas quoi faire de ses gobelets usagés. Une entreprise (la startup 3D Colossus) a fait installer une imprimante dans un conteneur où tous ces déchets sont collectés et utilisés pour imprimer des tabourets de bar et du mobilier pour l’année suivante. C’est d’ailleurs le principe de base de l’impression 3D, étudier la question si on peut utiliser des matériaux ne nécessitant pas de moules ou de coffrages préalables (pour le béton) dans la construction. Car au final, cela représente 80% du transport, des déchets et des heures de travail. Si on peut économiser là-dessus, on gagne énormément de matériel, de temps et de transport, et on fait baisser drastiquement les émissions de CO2. Sans coffrage, plus besoin de fabriquer des colonnes verticales, il suffit de suivre les lignes directrices calculées dans la conception paramétrique. C’est une approche qu’on observe déjà pour les antennes émettrices, les éoliennes et les éléments de ponts mais cela pourrait aussi parfaitement s’envisager pour la rénovation de colonnes dans les églises, par exemple. Et si – quand le bâtiment a fait son temps – nous pouvons récupérer le béton pour le moudre et le réutiliser dans une nouvelle impression, plus besoin de puiser dans le sol. Votre bâtiment devient la source. Quand on démolit une structure en brique, on devrait étudier si on peut la réduire en poudre et en faire une pâte imprimable. Nous serions alors dans une production parfaitement circulaire, ce qui est aussi un de nos chevaux de bataille. Nous n’y sommes pas encore, mais un jour, nous y arriverons. J’en suis convaincu”.
Bio Piet Wielemans
- Lieu de naissance: Louvain
- Hobbys: vélo, voile, randonnée en montagne
- Chanson préférée: Mia, Gorki (Luc De Vos)
- Film préféré: Alabama Monroe – Felix Van Groeningen
- Livre préféré: Bien des ciels au-dessus du septième – Griet Op de Beeck
- Endroit préféré: Un tronc d’arbre près d’une rivière
- Plat préféré: Carbonnades et frites façon Jeroen Meus
- Plus grand héros: Asseloos): Panamarenko
- En tête de votre bucket list: le tour du monde avec mes enfants
Que peut apporter la technique en cas de sinistre touchant un patrimoine protégé, comme dans le cas de la cathédrale Notre-Dame de Paris, par exemple?
“Cela permettrait de réimprimer en 3D les parties endommagées à l’identique et ce dans un temps relativement court car, comme tous les bâtiments historiques précieux, le bâtiment a déjà été entièrement scanné en 3D et il en existe donc un plan digital. Bien sûr, il faudrait parvenir à imiter la pierre naturelle ou s’en approcher avec une teinte de béton. Ou justement choisir une approche contrastante, en mettant les éléments neufs en avant dans un bel ensemble avec l’ancien. Ça peut être une façon de traiter les monuments anciens ou endommagés. Des projets futuristes existent, dont on pourrait imprimer les différentes parties, mais ce n’est pas près d’arriver en France. À ce niveau-là aussi, ils sont assez conservateurs et ils veulent restaurer leurs monuments selon le savoir-faire traditionnel. Lors de la (re)construction et de la rénovation de la Sagrada Familia, on l’a peut-être envisagé mais la technique n’était pas encore aussi avancée que maintenant. Si cela avait été le cas, ce sont des exemples parfaits où l’on peut appliquer l'impression 3D. Particulièrement les bâtiments avec beaucoup de structures tridimensionnelles. Dans ce cas, la rénovation serait achevée depuis longtemps, et le résultat aurait assurément été aussi beau.”
Concrètement, quand peut-on tabler sur cette évolution?
“Comme je disais, c’est une question de temps. Nos perspectives ont permis de faire un bond en avant et nous sommes maintenant dans la phase entre les recherches universitaires et les premières réalisations par des entreprises commerciales. En deux ans, les choses ont énormément évolué. Et je pense qu’une fois que de grands bureaux d’étude et des entreprises de construction spécialisées dans les rénovations historiques se pencheront sur la question, ça se mettra en place très rapidement.”