Le Maître-architecte flamand Erik Wieërs veut faire du paysage la pièce maîtresse des projets de construction
"Dans de nombreux endroits du monde, y compris en Flandre, l'idée perdure que l'immobilisme équivaut à reculer et que le progrès est forcément synonyme de croissance. Et progresser s’entend au sens expansion, ajout, développement, bref : construction ! Développer constamment le logement, les infrastructures et les sites industriels est toujours considéré comme une forme de progrès économique et social."
"Construire, dans tous les cas, veut dire occuper de l'espace public, des zones naturelles et des terres agricoles, de la végétation et de l'eau. Les constructeurs mettent généralement en avant l'adage du "libre développement", quel que soit le paysage impliqué. Ce paysage est drainé ou surélevé et modifié de telle sorte que n'importe quelle activité devient possible à n'importe quel endroit. Les ruisseaux sont canalisés, les cours d'eau déplacés et les arbres abattus pour faire place aux activités du progrès."
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"Aujourd’hui, il semble que le revirement que les spécialistes espèrent depuis 50 ans soit enfin à portée de main. De plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer la diminution (voire l’arrêt) des constructions, pour se concentrer davantage sur la nature et l’espace public. Cela signifie également une plus grande attention pour le contexte, la géomorphologie du paysage. Avant de modifier le paysage, nous devons d'abord le lire et l'analyser, reconnaître et respecter ses structures. Couper une forêt par une infrastructure routière signifie permet indéniablement de relier plus vite un point à un autre, mais c’est aussi créer une rupture au sein d'un système naturel existant et d'une certaine logique dans la biodiversité. Les gens en prennent de plus en plus conscience et s’efforcent de limiter les dégâts avec ici et là un écoduc ou un autre système contournement, afin de rétablir la continuité du tissu paysager. Mais est-ce suffisant ? N’est-il pas trop tard pour se contenter de réhabiliter le paysage d’origine ? N’a-t-on pas justement besoin de plus de nature, d'arbres et d'eau pour tempérer la crise climatique ?"
"Récemment, l'Atelier Bouwmeester a accueilli une soirée de débat dans le cadre de la série Small Talk, organisée par Blikveld, l'association professionnelle de l'architecture paysagère et de jardins, intitulée : "Le paysage en tant que pièce maîtresse, ou l'approche paysagère au cœur du développement de l'espace". Les présentations et le débat entre spécialistes m'ont permis de comprendre la nécessité d'interventions paysagères à grande échelle. Planter quelques arbres ne suffira pas : il faut créer de véritables forêts qui font le lien entre les villes et avec le paysage environnant. Pour cela, il faut le même état d'esprit que nous appliquons aujourd'hui aux infrastructures routières : créer de grands projets et débloquer des budgets généreux pour redessiner le paysage et l'espace public."
"Dans une société pluraliste et démocratique, il n'est pas évident de lancer de grands travaux d'infrastructure. Cela nécessite de nombreuses consultations entre les différentes autorités et une participation organisée de la part des citoyens, qu’il faut responsabiliser. Mais surtout, cela exige une perspective et une approche différentes. Cela remet en question notre vision du progrès et notre idée d'un monde viable. Nous devons changer notre regard sur notre cadre de vie. Revoir nos ambitions et cesser de vouloir bâtir toujours plus, pour nous concentrer sur la préservation de l'espace public. Faire entrer la conservation et réhabilitation dans la notion de progrès".
"Parmi les nombreux spécialistes et autres participants présents à la soirée de débat, le consensus était clair : il faut agir immédiatement. Tout le monde semblait reconnaître qu'il est en fait trop tard pour réhabiliter les espaces publics et les zones naturelles en Flandre et que le changement climatique nous pousse inexorablement vers une transformation spatiale urgente et à grande échelle de notre environnement. Mais combien d'inondations, de tempêtes, de canicules, de mauvaises récoltes et de pénuries d'eau faudra-t-il pour convaincre le grand public de la nécessité d'une métamorphose profonde de notre système spatial ? Comment obtenir l'adhésion de tous à la transformation nécessaire et à la mise en place de projets ambitieux ? Déplacer les budgets des infrastructures routières vers les infrastructures paysagères ne serait-il pas déjà un grand pas dans la bonne direction ?