Catherine De Wolf, ingénieur civil architecte, cherche des super-techno(s) avec conscience écologique
Aujourd'hui, bien des années après l'argumentation d'Ine Wouters, Catherine - aujourd'hui docteur ingénieur civil architecte et enseignante chercheuse - et son équipe développent des solutions numériques innovatrices pour la construction circulaire. Pour permettre l'automatisation de décisions sur le réemploi des matériaux, basées sur des données concrètes.
“Nous devons rapidement sortir de notre manière linéaire de penser (production, utilisation, déchets) pour aller vers une économie circulaire (le déchet devient matière première) qui nous permettra de réutiliser des matériaux et des éléments de construction.”
“En intégrant la construction circulaire comme une nouvelle norme, nous créerons des circuits, réduirons la montagne des déchets, et pourrons construire des ouvrages uniques. Une économie circulaire de la construction va bien au-delà du simple recyclage. Il s'agit de repenser fondamentalement la construction, la façon dont les organisations mettent les travaux en adjudication et les financent, et la manière dont tous les éléments et systèmes sont mis en œuvre dans un immeuble. En considérant l'allongement de la vie, pensez à la réutilisation, la possibilité de démonter pour réparer ou remplacer, l'introduction de modèles ‘as-a-service’ comme, par exemple, la location d'installations plutôt que leur achat, le soutien de modèles pour une utilisation partagée...”
Qui est Catherine De Wolf, Assistant Professor & Chair of Circular Engineering for Architecture (CEA) ETH Zürich?
La recherche, l'enseignement et le travail de Catherine De Wolf associent l'architecture et l'ingénierie, avec une attention particulière pour le Life Cycle Design, le carbone intrinsèque, les possibilités de l'IA au service de la circularité. Elle jette des ponts entre architecture et technique, entre le travail académique (ETH Zürich, TU Delft, EPFL, MIT, University of Cambridge, VUB, ULB) et l'aspect professionnel (Losinger Marazzi, Elioth/Egis, Arup, Thornton Tomasetti, Ney & Partners, Helionix Designs, Modulo Architects).
De la science-fiction au prix Nobel ?
“Lorsque j'ai commencé mes études, le cradle-to-cradle était encore un concept nouveau. Presque de la science-fiction. Mais il m'est vite apparu que c'était la voie à suivre. Les opportunités et les bénéfices possibles étaient gigantesques.”
“Beaucoup d'années ont passé depuis, et la nécessité de se préoccuper du climat est désormais largement reconnue. Mais les mots ont bien trop peu été transformés en actes. Disons traduits en gestion concrète. Le semi-accord climatique obtenu à Glasgow en est un bel exemple. Dans le monde entier, et bien sûr ici aussi, en Belgique, on peut – non, on doit ! – faire beaucoup plus.”
“J'ai entre-temps obtenu mon PhD in Architecture, Building Technology, au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et rédigé ma thèse de doctorat, ‘Low Carbon Pathways for Structural Design’, autour du carbone intrinsèque des matériaux. Ce qui m'a ouvert beaucoup de portes. Je suis entrée en contact avec des entreprises désireuses de produire de manière plus durable mais qui, souvent, ne savaient pas trop comment s'y prendre.”
Projets-pilotes
“Il existe actuellement dans le monde entier, ici aussi dans nos contrées, de beaux projets-pilotes prometteurs, qui ont le potentiel de lancer véritablement la construction circulaire et d'initier un mouvement du linéaire vers le circulaire. Mais la vérité, c'est qu'il faut aller beaucoup plus loin. Que nous ne devrions plus, aujourd'hui, faire un travail de pionniers, mais que cette nouvelle manière de penser pourrait et devrait déjà être ancrée dans toute notre économie. Dans la politique. Partout dans la pratique.”
“Malheureusement, le secteur de la construction est lent à innover. L'industrie est statique et communique peu sur des domaines qui dépassent ses limites. De très nombreuses parties œuvrent dans des silos séparés. C'est pourquoi il est difficile de rendre des principes circulaires accessibles à grande échelle.”
“En outre, le secteur de la construction ne suit pas très rapidement les innovations numériques. Celles-ci peuvent pourtant aider à démanteler les bâtiments plus rapidement, plus intelligemment et pour moins cher qu'autrefois. De nouvelles méthodes numériques telles que le BIM, la conception paramétrique, le Big Data, la blockchain-technology, la robotique, le Computer Aided Manufacturing (CAM), l'Intelligence Artificielle (IA) et l'Internet des objets (IoT) ont le potentiel de faire changer l'état actuel des choses dans la construction.”
“Ce sont précisément ces méthodes numériques que j'essaie, avec mon équipe, de développer et de combiner à des principes circulaires, afin que les décisions dépendantes de données, en termes de réemploi de matériaux, puissent être automatisées.”
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Seriez-vous des 'super-techno' du climat ?
“Dans mon job, je suis souvent en contact avec les deux extrêmes. Il y a d'une part les idéalistes verts, les 'hippies de l'environnement', prêts à retourner à la Préhistoire s'il le faut pour sauver le climat à tout prix. Mais des concessions sur la qualité ne créent jamais suffisamment de surface portante. De l'autre côté, il y a les super-techno qui, avec leurs énormes connaissances en termes d'IT, développent sans cesse des innovations avancées. Mais qui sont peu, ou pas du tout, conscients de l'impact de celles-ci sur l'environnement.”
“Nous avons précisément besoin du profil unique entre les deux – le meilleur des deux mondes. Disons des 'techno' conscients du climat, qui mettent leur savoir et leur vision en action pour développer des solutions novatrices représentant une valeur ajoutée absolue pour la pensée circulaire, et qui doivent en même temps améliorer le bien-être commun.”
Le mouvement 'circulaire' est en route
“Depuis quelques années, je remarque un lent glissement dans la pensée de nombreuses entreprises. Alors qu'il y a 10 ans, la plupart de ceux qu'on rencontrait à Cologne ouvraient de grands yeux en entendant parler d'économie circulaire, beaucoup réalisent aujourd'hui que leur manière actuelle de gérer l'entreprise sera tôt ou tard obsolète. Et que le monde, d'une manière ou d'une autre, posera et exigera des mesures en matière de climat. Et que, s'ils attendent trop longtemps, ils s'excluront eux-mêmes du marché. Il vaut donc mieux pour eux sauter dès maintenant dans le train, et adapter leurs processus et leurs produits.”
“La Covid a d'ailleurs eu un impact positif. Durant le confinement, beaucoup d'entreprises ont finalement eu le temps de mettre au point leur vision à terme. Et de s'orienter, bien forcées, vers l'avenir.”
Influence de la Covid
“La Covid nous a en outre enseigné beaucoup de choses intéressantes. Nous savons maintenant que nous sommes très dépendants d'autres régions et pays pour nos matières premières. Ce qui a aussi pour résultat une grande dépendance en termes de prix et de délais de livraison. Nous pouvons difficilement compenser cela de manière locale. À moins que nous ne fassions effectivement la transition vers une économie circulaire. Nous pourrons alors, entre autres, rendre possible une banque de données pour le réemploi des matériaux, réduire fortement le flux des déchets et nettement diminuer notre dépendance à des matières premières toujours plus rares.”
“Un autre aspect intéressant est le fait que des changements importants, pour peu qu'ils soient perçus par un large groupe comme présentant un intérêt sociétal, sont acceptés par la population s'ils s'inscrivent dans un cadre plus large. On est prêt à changer son style de vie pour viser un but plus grand.”
Le train est déjà en marche…
“Des mesures imposées par les pouvoirs politiques seraient une solution, mais hélas les décisions politiques arrivent souvent trop tard, alors nous ferions mieux de ne pas les attendre !”
“Il serait préférable que cette volonté de circularité vienne du secteur lui-même. D'entreprises décidées à prendre leurs responsabilités. Mais actuellement, c'est le prix qui reste roi. Les solutions circulaires ne réussiront que si elles sont au moins compétitives du point de vue financier par rapport aux produits et systèmes linéaires. ”
“Ce qui est d'ailleurs tout à fait possible. Mais l'offre est encore trop insuffisante pour cela. Si nous inscrivons tous les bâtiments dans une banque de données des matériaux, cela deviendra peut-être un peu plus facile. Dans ce cadre, l'un de nos propres projets peut peut-être offrir une solution. Google Street View est associé au projet de mettre en carte toutes les façades de tous les immeubles dans un village, une ville ou une région. Quels matériaux ont été mis en œuvre ? Quelle est l'âge de l'immeuble ? Avec le recours à l'IA, un algorithme peut calculer, à partir de ces données, à quel moment le bâtiment devra peut-être être rénové ou démoli. Et évaluer quand environ les matériaux utilisés seront disponibles. Un bel exemple de 'machine learning' au profit du climat. Un grand nombre d'autres outils intéressants ont d'ailleurs été développés à ce jour.”
“Il est difficile de savoir clairement s'il s'agira d'une décision top-down of bottom-up, ou intermédiaire. Mais une chose est claire, nous sommes entrés dans la voie de la construction circulaire. C'est à nous de continuer à développer des technologies circulaires, et aux entreprises de rester attentives à ce qui se fait. Le train a démarré, il est temps d'y accrocher votre wagon.”
Le bon sens
“L'important dans tout ceci, c'est de voir également que nous ne pouvons pas nous montrer trop radicaux dans cette transition vers la construction circulaire. Tout ne peut pas toujours être réutilisé. Parfois, les efforts sont trop importants pour faire du circulaire. Tout varie en fonction de chaque cas. Il devrait y avoir un débat nuancé pour chaque projet. Qu'est-ce qui est disponible ? Quelle est la meilleure solution ? Le bon sens doit toujours triompher.”
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