La construction circulaire est-elle financièrement réalisable ?
En juin 2022, Klaas van den Brand, expert métreur chez le promoteur immobilier Van Wijnen Rosmalen, a réalisé une étude comparative entre la construction circulaire et la construction traditionnelle. C'est Jim Teunizen, promoteur de l'économie circulaire chez le consultant immobilier Alba Concepts, qui l'a incité à étudier la faisabilité financière de la construction circulaire. Tous deux parlent de leurs découvertes, de ce qu'elles ont donné et de ce qu'elles signifient pour le secteur de la construction.
Pourquoi cette enquête ?
Klaas van den Brand : "L’industrie de la construction et de l'immobilier consomme trop de matières premières et émet trop de substances nocives, tant au niveau la production et de l'utilisation que du recyclage des matériaux. Ce qui épuise progressivement la terre. Les Pays-Bas s'efforcent donc de mettre en place une économie circulaire d’ici 2050. Toutefois, nous estimons que les mesures prises ne sont pas assez rapides ni adéquates. Avec les connaissances et les technologies d'aujourd'hui, nous pouvons déjà mettre en place une construction ‘Paris Proof’ et avec un score de performance environnementale des bâtiments (MPG) bien inférieur à la norme actuelle.
"D'ici 2030, Van Wijnen souhaite que ses produits et services n'aient plus d'impact négatif sur l'environnement. Pour concrétiser cette ambition, il est indispensable de mener des recherches sur la construction circulaire. Nous nous concentrons sur plusieurs aspects :
- Encourager la démontabilité et la réutilisation
- Utiliser des matériaux biosourcés
- Améliorer les cycles techniques (réduire les émissions)
La question des implications financières de la construction circulaire est également importante. Beaucoup pensent encore qu'elle est plus chère, mais est-ce vraiment le cas ?"
Qu'avez-vous étudié exactement ?
Klaas van den Brand : "J'ai fait une projection de faisabilité financière de la circularité dans le cadre d’un "cas" existant : un projet de logement à petite échelle comprenant 36 unités de logement social. En plus de la base de référence 'construite' et livrée, j’ai fait une comparaison avec deux variantes circulaires."
"Van Wijnen a construit la base de référence (mesure zéro) dans le cadre de son concept ‘Habitation libre' : du sur-mesure à base de bâtiments casco en béton préfabriqué conçus en série avec des dalles de sol massives. J'ai conçu la variante 1 avec des matériaux de construction circulaires qui sont actuellement en vente. Dans la variante 2, les matériaux de construction circulaires choisis précédemment (variante 1) ont été complétés par des solutions plus circulaires, incluant par exemple un contrat de démolition/démantèlement. La variante 2 utilise également davantage de matériaux biosourcés."
"Les trois variantes ont été comparées au niveau des coûts de construction, des coûts de chantier, des coûts auxiliaires, des coûts d'exploitation (75 ans), des coûts d'entretien, des revenus, du stockage de CO2, des émissions de CO2, des performances MPG et du BCI, mais aussi au niveau la démontabilité."
Lire la réaction de Catherine De Wolf, spécialiste de la construction circulaire, à cet article
Quelles sont vos observations ?
Klaas van den Brand : "Il y en a beaucoup ! Pour commencer par la conclusion : nous pouvons proposer des logements circulaires à coût neutre. Selon la variante, un investissement dans les coûts de construction de 3 à 6 % permet de réduire les émissions de CO2, respectivement de 30 à 60 %. Les gens pensent souvent que la construction circulaire est une construction en bois et/ou en CLT avec des coûts de construction 15 % plus élevé (ou plus) qu’une construction traditionnelle. Il s'agit donc d'une observation très intéressant. En outre, sur le plan environnemental, nous constatons que le BCI passe de 44 % dans la base de référence à 67 % dans la variante 2. Le score MPG passe de 0,73 €/m² SBP/an dans la mesure de référence à 0,47 €/m² SBP/an dans la variante 2."
"Les coûts d'entretien sur 75 ans diminuent de 8 %, les coûts de démolition sont réduits de moitié et la valeur résiduelle des matériaux à utiliser est doublée. La variante 1 est neutre en termes de coûts, même après 75 ans d'exploitation. Elle n'est donc pas plus chère que les coûts de construction et d'exploitation traditionnels.
Pouvez-vous citer des exemples qui ont conduit à ces résultats ?
Klaas van den Brand : "Par rapport à la mesure de référence, j'ai cherché une alternative circulaire pour tous les matériaux de construction mentionnés. Un produit ayant un impact environnemental plus bas et, de préférence, entièrement démontable. Comme par exemple une dalle de sol démontable ‘verte’ pour les tuyaux. Il s'agit d'une alternative aux dalles massives (non démontables) coulées sur place.
Les avantages de ces dalles sont multiples :
- Moins de béton grâce aux conduits et aux rainures
- Béton écologique à base de matières premières secondaires, 100 % recyclable et 50 % de béton neuf en moins
- Sols démontables : ils peuvent être rendus au fournisseur après démontage (garantie de reprise). Cela permet d’économiser les frais de démolition et de réutiliser les sols
- Les rainures peuvent être fermées avec du sable stabilisé et les sols parachevés avec des chapes sèches. Cela permet de respecter les "couches de feu" et de remplacer le chauffage par le sol (durée de vie de 30 ans) sans devoir démolir une chape de ciment traditionnelle (durée de vie de 75 ans). Cela permet de réduire considérablement les coûts d'entretien et le "coût total de possession"
Autre exemple : le remplacement des châssis en bois tropical par du bois résineux tendre européen thermotraité :
- Moins d'émissions de CO2 grâce à l’utilisation de bois européen et non asiatique
- Le bois résineux européen pousse plus rapidement
- La modification thermique (immersion dans un liquide biologique) empêche l'absorption d'eau dans la phase d'utilisation, ce qui réduit la fréquence d'entretien
- Une durée de vie technique de 75 ans au lieu de 50 ans, ce qui signifie que les châssis en bois ne doivent pas être remplacés pendant le cycle de vie de la maison, ce qui permet des économies considérables en coûts d’entretien
- De meilleures performances d’isolation et une meilleure stabilité dimensionnelle
Comment la recherche de Klaas contribue-t-elle à la valeur de la construction circulaire ?
Jim Teunizen : "Les résultats viennent étayer ce que nous clamons depuis des années sur le marché. Aujourd’hui, un constructeur arrive aux mêmes conclusions après des recherches approfondies, c’est un signal fort et une preuve supplémentaire que la construction circulaire est rentable. Et qu’Alba Concepts est résolument sur la bonne voie. Avant que Klaas n’entame ses recherches, nous avions déjà discuté à plusieurs reprises de la manière de calculer la valeur financière des matériaux et de la façon dont les coûts de manutention et de transport viennent compléter la valeur résiduelle. Aujourd'hui, cette valeur résiduelle est encore souvent déterminée à l'aide de calculs théoriques. Comme nous sommes de plus en plus nombreux à en tenir compte, on voit émerger un vaste ensemble de données qui nous donne des informations de plus en plus fiables.
Klaas, d'après vos recherches, les coûts d'investissement ne sont pas beaucoup plus élevés et même parfois plus avantageux. Alors pourquoi la construction circulaire n'est-elle pas encore généralisée ?
Klaas van den Brand : "C'est une bonne question. Je pense que de nombreux acteurs pensent encore essentiellement en termes d’investissement dans un objet. Et cet investissement est effectivement plus élevé. En outre, les entreprises ne ressentent pas toujours l'urgence de faire mieux que ce que le gouvernement leur demande. La norme actuelle devrait donc être renforcée.”
"De nouveaux matériaux de construction circulaires sont disponibles, mais ils ne sont pas encore courants, cela demande du temps. À terme, l'augmentation de l'offre de matériaux de construction circulaires garantira également une baisse des prix. De même, les matériaux de construction réutilisables ne sont pas (encore) disponibles à grande échelle. Cela ne changera vraiment qu’avec la multiplication des partenariats (régionaux) et lorsque les matériaux seront recensés numériquement dans un passeport matériaux. Cela permettra aux clients et aux concepteurs de savoir ce qui est disponible et à quel moment. En partageant mes connaissances et en donnant à d'autres acteurs de la construction et de l'immobilier un aperçu de ce qui est déjà possible, j'espère que le marché va se mettre à bouger.
Comment peut-on accélérer la transition circulaire ?
Jim Teunizen : "Le gouvernement est là pour créer des conditions équitables. À mon avis, ces conditions est encore trop calquées sur la majorité des entreprises, dont les ambitions ne vont pas au-delà des lois et des réglementations, et qui freinent donc l'innovation. Ils devraient plutôt se concentrer sur les "pionniers", qui font clairement mieux. Là, cela aidera réellement l'industrie à aller de l'avant ! Il faut des normes largement soutenues. Comme le BCI (développé par Alba Concepts) par exemple. En ce qui me concerne, les performances MPG sont également un bon début. Ce qui manque, ce sont les informations de qualité dans la base de données sous-jacente. Si tout le monde commence à adopter ces normes, nous pourrons vraiment prendre les choses en main et progresser.”
Quelles mesures ont été prises suite à l'enquête et comment stimuler le changement au sein de l'industrie ?
Klaas van den Brand : "Au cours des derniers mois, j'ai parlé de mes recherches à différents endroits au sein de Van Wijnen. En outre, je suis désormais l'un des porte-paroles de notre organisation pour la mesure de la circularité et les produits avec un (plus) faible impact environnemental. Plusieurs départements m’ont déjà sollicité, de la rénovation à la construction neuve, afin de partager les connaissances que j'ai acquises sur le sujet.”
"Actuellement, dans notre région, dans le sud du pays, nous avons fait le BCI de pas mal de projets, y compris le calcul de l'empreinte carbone ‘ Paris Proof’. Dans la période à venir, il y en aura d'autres, afin d’indentifier les meilleures pratiques.”
Qu'est-ce qu'une bonne moyenne et quelle est la proportion entre les divers projets ?
Klaas van den Brand : "Nous investissons constamment afin d'utiliser les connaissances dont nous disposons pour accélérer la transition, aux côtés de nos partenaires. Nous constatons également une augmentation de la demande de la part de nos clients, qui nous sollicitent par exemple pour des chantiers sans émissions ou des questions relatives à influence de la réduction de l'impact environnemental global."
Quelle sera la situation dans cinq ans ?
Jim Teunizen : "Dans cinq ans, la construction circulaire (BCI > 0,6) sera généralisée aux Pays-Bas. Les flux financiers et de CO2 seront alors en phase pilote (sur la base du taux du système européen d'échange de quotas d'émissions ou EU ETS). La question du CO2 pèsera alors largement dans les décisions en matière de construction. Les entreprises seront prêtes à payer plus cher pour des produits avec une empreinte carbone faible. Mais je perçois aussi un risque. Si les conditions continuent à reposer sur des ambitions plutôt que sur des exigences et des normes établies, la construction risque de rester conservatrice dans la concrétisation des objectifs durables. Il ne faut rien lâcher. Nous sommes sur la bonne voie !"