L’architecte Laurenz Rabaut : “Cette folie du lotissement doit cesser !”
L’initiative est venue de deux entrepreneurs déterminés. Quel était donc votre objectif ?
Laurenz Rabaut: “En 2016, mon frère et moi nous sommes mis à la recherche d’un espace qui soit à la fois une base pour son activité de catering, et un bel endroit pour exercer mon activité professionnelle. Un lieu où nous puissions vivre et avoir de la place pour nos loisirs.”
“Nous cherchions un bien qui offre du potentiel et suffisamment de place. Ce qui n’a rien de simple, car le marché de l’immobilier était alors en pleine explosion. Nous avons visité énormément d’immeubles dans la région, et nous avons finalement atterri au presbytère de Leke, qui se trouvait dans un état de délabrement très avancé.
“À la mort du dernier prêtre, en 2006, on n’a pas trouvé de fonction pour le logement. Celui-ci, qui appartenait alors à la ville de Dixmude, a été utilisé comme terrain d’exercice pour les pompiers et la police, en attendant. Inutile de préciser que cela n’a pas amélioré son état.”
“De plus, la crise économique a éclaté en 2008. Les villes et les communes ont alors dû gérer leurs moyens avec beaucoup plus de prudence. Dixmude compte dix arrondissements avec chacun son presbytère. En quelques années, dix bâtiments similaires se sont donc retrouvés sans affectation. Une vente sous pli cacheté nous a permis d’acheter l’immeuble et le terrain. Notre recherche a cessé brutalement lorsque nous sommes tombés, par hasard en fait, sur cette perle au cachet unique, dans un environnement exceptionnel.”
Quel était votre projet ? La démolition du bâtiment était-elle aussi une option ?
Laurenz Rabaut: “Non, nous voulions absolument conserver ce bâtiment caractéristique, même s’il se trouvait en très mauvais état. Sous l’impulsion d’une plate-forme du voisinage, une étude historique et technique avait récemment été effectuée par Johan Termote, historien passionné. Plus tard, un PES a été élaboré pour le site. Les recommandations et les résultats de recherches nous ont offert une base exceptionnelle pour la rénovation et la reconversion. Malgré cela, nous avons dû nous remonter sérieusement les manches et nous montrer créatifs.”
“Notre objectif premier a très rapidement été déterminé : réaliser une reconversion durable, en misant d’abord sur une polyvalence bien pensée qui permette le retour de l’aspect ‘rencontres’ d’autrefois. Une rénovation poussée et une campagne de restauration s’imposaient, pour transformer le presbytère en espace de coworking et en faire un lieu événementiel hors du commun, ce qu’il est aujourd’hui, avec en plus un logement.”
“Le coworking et le local événementiel partagent le même espace polyvalent. Nous ne voulions pas d’une ‘salle des fêtes en plastique’ qui ne serait utilisée que le week-end et prendrait la poussière le reste du temps. Grâce à notre mobilier polyvalent, l’immeuble peut servir durant la semaine comme espace de séminaires, de réunions, de coworking, etc. Prêt pour l’avenir ! En effet, quel entrepreneur créatif ne serait pas intéressé par un point de chute permettant de lier des contacts avec des personnes partageant le même état d’esprit, de s’enrichir à travers des échanges d’idées, et de travailler ensemble d’une manière novatrice et très abordable ? C’est possible ici désormais.”
“Parce que nous sommes convaincus de la fonction exemplaire de cette reconversion et de notre concept économique, et étant donné l’intérêt du grand public pour l’histoire locale, nous cherchons actuellement à donner le maximum d’écho possible à ce projet.”
Voir le projet
Peut-être un modèle pour beaucoup d’autres…
Laurenz Rabaut: “Absolument, il est possible d’extrapoler ce projet. Il existe certainement un avenir intéressant pour le patrimoine immobilier. Mais, pour pouvoir réaliser ceci à haut niveau, il faut trouver suffisamment de surface portante chez les acteurs impliqués.”
“Une évolution de la façon de voir les choses sera nécessaire pour beaucoup d’instances concernées et leurs collaborateurs. Les interventions énergétiques par exemple, sont trop souvent vues aujourd’hui comme une somme de mesures concernant l’isolation, les panneaux solaires, les pompes à chaleur… Mais la durabilité ne s’obtient qu’à travers ‘the bigger picture’. En regardant plus loin. Les immeubles à l’abandon doivent tout d’abord être examinés à la loupe, si vous voulez pouvoir répondre de manière durable aux besoins d’un quartier.”
“Pour ce presbytère aussi, beaucoup de projets allaient dans le sens de la démolition et de la construction d’un complexe neuf. Le délabrement arrivait ainsi à son terme. Mais que reste-t-il alors ? Le XXe siècle sera-t-il qualifié d’ignorant dans les livres d’histoire ? Les communes rurales font face au risque de se transformer en villages-dortoirs, dans lesquels les gens ne font que dormir. Ils se lèvent le matin pour prendre leur voiture afin d’aller travailler, avoir une vie sociale et se détendre ailleurs. Le fait de se concentrer sur des projets strictement résidentiels a pour effet de vider ces petits villages.”
“L’une des manières de changer ceci consisterait à ‘updater’ les prescriptions d’urbanisme. Car bien souvent, elles ont considérablement vieilli. Il s’agit souvent d’une énumération rouillée, non argumentée, des matériaux, couleurs et hauteurs de corniche autorisés, sans véritable attention pour la façon dont le cœur du village pourra encore vivre à long terme. Nous pouvons et devons nous comporter autrement ! Les communes décident de l’aménagement de leur propre territoire, c’est donc à elles d’en conserver la qualité, et de développer pour cela une vision portée pour l’avenir, afin de faire finalement cohabiter un mélange viable de fonctions.”
“Les logements avec atelier ou les petites résidences offrant un mélange de fonctions sont souvent difficiles à réaliser dans des villages. Il faut pouvoir s’inscrire dans ce qui existe déjà sur place. Et, même si je suis en partie ce raisonnement, nous devons en tout cas nous détourner de la façon dont on construisait autrefois. Il suffit de penser à l’habitat linéaire dans ces quartiers ou villages morts que nous venons d’évoquer.”
“Quoi qu’il en soit, je n’invente rien ! Il y a des années déjà que nos architectes plaident pour que les réglementations soient revues pour arriver à un ensemble de règles plus compatibles avec l’avenir, avec des pollinisations croisées qui seraient le carburant d’un futur intéressant.”
“Nous devons aussi tendre vers des projets fondamentalement durables. Qui aillent plus loin que l’intégration de pompes à chaleur, de panneaux solaires, de matériaux isolants. La question de base doit être ‘comment utiliser au maximum l’immeuble réalisé ?’. L’énorme augmentation des coûts de construction et des investissements concernés nous y amène d’ailleurs de manière accélérée. Un logement qui devient un espace de travail pendant la journée, une école qui peut aussi être utilisée après les heures de cours, durant les week-ends et les vacances… Et il ne s’agit pas seulement des immeubles, mais aussi de l’espace entre eux. Une aire de jeux peut par exemple devenir un parking. Ou un parc. Le concepteur a ici pour tâche d’être conscient du potentiel et de garder ouvert le plus grand nombre de pistes possible.”
Les promoteurs immobiliers sont-ils ouverts à ces idées ?
Laurenz Rabaut: “La prise de conscience doit aussi avoir lieu à leur niveau. Une partie d’entre eux est tout à fait d’accord, mais d’autres tombent des nues. On peut et on doit faire plus. Nous pouvons les accompagner, en tant que concepteurs. En premier lieu, nous devons sentir le soutien des instances concernées, et pas être limités par une réglementation vieillissante ou par des responsables qui ne soient pas vraiment au fait des besoins et possibilités architecturales actuelles.”
“Car cela fait aussi parfois partie des questions d’actualité. Un fonctionnaire de l’urbanisme qui doit défendre une directive désuète, parfois contre son gré, et qui refuse une demande. Ou bien une demande jugée favorablement par le service de l’aménagement du territoire, dont les avis sont avant tout dictés par la politique. Il y a de quoi froncer les sourcils.”
“Il doit être possible d’agir autrement, y compris dans la construction de logements sociaux. Là aussi, tout est souvent mort pendant la journée. Il existe de nombreux exemples de logements sociaux construits par dizaines dans des villages, sur un terrain qui s’est libéré ou une ancienne friche. Les projets de logement social peuvent être un exemple de valeur ajoutée : pourquoi pas un immeuble plus haut avec un magasin, une boulangerie, un atelier, un espace de réunion ? Le résultat sera vivant, avec une interaction qui pourra bénéficier à tout le quartier.”
Qu’est-ce qui aurait pu vous aider, à court terme, à avancer dans votre projet ?
Laurenz Rabaut: “Il m’a manqué un véritable interlocuteur, un accompagnateur en soutien des maîtres d’ouvrage et des architectes. Dans quelques communes et surtout villes, ce genre de choses a déjà été créé, je pense par exemple à l’Energiecentrale de Gand, mais ces initiatives sont minoritaires. A mesure de la progression de notre projet de reconversion, nous avons constaté que le patrimoine aurait lui aussi gagné à disposer d’un interlocuteur pour une étude historique supplémentaire.”
“De telles instances accompagnent aussi bien les prescripteurs que les constructeurs particuliers, et ceux qui transforment du bâti existant, pour les aider à faire les bons choix, elles établissent les priorités, nous épaulent pour les demandes de subsides… Elles connaissent parfaitement les directives en vigueur et la meilleure façon d’y répondre. Ce partage bien pensé de la connaissance est absolument crucial pour permettre d’optimiser le trajet et favoriser une réalisation aussi bonne que possible du projet.”
“Je lance donc un appel à ceux à qui il manque un instrument de ce type : investissez dedans, il est absolument indispensable de réaliser un urbanisme durable et pensé pour le futur. Et cela peut être un premier pas nécessaire pour une remise à jour des prescriptions locales de construction.”
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