L’arriéré en matière d’entretien des ponts sera rattrapé
Afin de garantir à nouveau une infrastructure sûre et solide en Flandre à long terme, Lydia Peeters, ministre flamande de la Mobilité et des Travaux Publics, a élaboré un plan d'action jusqu'en 2030. Pour savoir où et comment il sera préférable d’investir ces moyens, nous sommes allés frapper à la porte du Département de la Mobilité et des Travaux Publics (DMOW).
Notons tout d’abord que, lorsqu’elles parlent des ponts, les autorités préfèrent souvent utiliser le terme ‘ouvrages d’art’. Un monitoring a permis de classer en cinq catégories les ponts à rénover, allant des réparations légères aux très gros travaux de rénovation. La catégorie 1 comprend 875 ouvrages d'art contre 1.136 pour la catégorie 2, 474 pour la catégorie 3 et 216 pour la catégorie 4 tandis que la catégorie 5 ou Liste des Ouvrages d’art Prioritaires en comprend 41. Cette dernière catégorie, la plus mauvaise, est également connue sous le nom de ‘ponts qui s’effritent’. Au cours de cette législature, 14 ponts ont déjà été rayés de la liste... Mais il reste encore du pain sur la planche.
La Flandre a-t-elle une bonne vision de l'état actuel de ses ponts et chaussées? Et quel rôle le Département de la Mobilité et Travaux Publics joue-t-il dans la gestion de ces infrastructures?
Ing. Paul Meekels, responsable de la section Expertise Béton & Acier du Département de la Mobilité et Travaux Publics: "Oui, nous sommes bien conscients du défi auquel nous faisons face. C’est la conséquence des grands investissements et travaux réalisés dans les années 1960 et 1970. L'infrastructure routière et fluviale construite à l'époque constitue l'épine dorsale du système flamand de la mobilité et de la gestion de l'eau. Nous devons dès lors traiter ce vaste patrimoine (ponts fixes et mobiles, viaducs, tunnels, écluses, barrages, murs de quai, digues, voies navigables, etc.) avec le soin nécessaire."
"Une proportion importante de ponts et autres ouvrages d'art ont désormais atteint la fin de leur durée de vie économique et nécessitent un entretien. Ce pic de vieillissement, associé à la forte augmentation du trafic depuis les années 1960, et donc aux contraintes supérieures auxquelles est confrontée l'infrastructure, signifie que nous allons devoir prendre des mesures au cours des prochaines années. Et c'est ce que nous faisons."
Quels projets figurent au programme des 5 prochaines années?
Paul Meekels: "Depuis deux ans, nous planchons sur un plan d'action visant à améliorer l'état de nos ponts. Celui-ci a été présenté en juillet 2021. D'une part, il se concentre sur les ponts classés en catégorie 5, ceux qui figurent donc sur la Liste des Ouvrages d’art Prioritaires et qui nécessitent dès lors le plus d'attention. D'autre part, nous accordons également la priorité aux ponts qui sont juste un peu en meilleur état, ceux classés en catégorie 4.
"Au cours des cinq prochaines années, nous nous attaquerons à la quasi-totalité des ponts figurant actuellement sur la Liste des Ouvrages d’art Prioritaires. En outre, nous procèderons aussi au remplacement et à la rénovation de ponts classés en catégorie 4. Une trentaine de ponts classés en catégorie 4 seront ainsi remplacés ou rénovés ces prochaines années. En marge des travaux sur les ponts classés en catégorie 4, des travaux seront également effectués sur les ponts actuellement encore en meilleur état. Et ce, pour empêcher que leur état ne s’aggrave."
Sur quelles autres mesures misez-vous encore?
Paul Meekels: "Nous ne voulons plus considérer les actifs comme des poids morts, mais comme des éléments d'infrastructure ayant une durée de vie et une histoire. Une gestion professionnelle et intégrale des actifs nous permettra d’assurer le suivi de l'infrastructure tout au long de sa durée de vie et nous fournira de nombreuses données grâce auxquelles nous pourrons prévoir correctement le moment où l’entretien et les investissements seront nécessaires."
"En d'autres termes, nous allons passer du remplacement ou de l’entretien majeur à un moment donné toutes les x années à une approche basée sur l'évaluation des risques, la gestion des données et des informations et la gestion active du cycle de vie complet. Nous n'investirons plus uniquement dans la préservation, mais aussi dans des connaissances, des compétences, des outils et des techniques permettant une gestion plus efficace."
Comment les projets qui seront exécutés ces prochaines années sont-ils déterminés?
Paul Meekels: "Nous élaborons un programme d’investissement intégré ou PII en collaboration avec les entités du domaine politique – De Lijn, l’Agentschap Wegen en Verkeer, la Vlaamse Waterweg nv, Maritieme Dienstverlening & Kust, Lantis, de Werkvennootschap et le Département de la Mobilité et des Travaux Publics. Tous les investissements pour l'année à venir dans notre domaine d'action sont ainsi clarifiés pour tout le monde."
"Un tel PII s’avère important pour trois raisons. Il procure un bon aperçu de l'ensemble du domaine d’action. En un clin d'œil, vous pouvez voir ce que nous investissons et où, mais aussi comment cela nous permet d’atteindre les objectifs fixés. En outre, nous voyons aussi plus rapidement quand certains investissements interfèrent ou sont même parfois contradictoires. Cela nous permet de conclure des accords et d'utiliser plus efficacement les moyens en fonction des infrastructures durables, des transports publics, du vélo et des voies navigables. Enfin, nous avons une meilleure vision des tendances à court et à plus long terme dans le domaine politique. Cela nous permettra d'évaluer si nous sommes sur la bonne voie ou s’il faudra procéder à des ajustements éventuels."
"Le PII 2022 compte pas moins de 929 projets pour une valeur de 2,2 milliards d'euros. Il s'agit donc également d'un instrument qui montre l'importance du secteur de la construction pour nos autorités et vice versa. En même temps, il montre aussi ce que nous faisons concrètement pour les usagers de la route, que ce soit sur terre, sur l'eau voire même dans les airs."
Il y aura beaucoup de travaux à de nombreux endroits ces prochaines années. Pouvez-vous donner quelques exemples?
Paul Meekels: "Comme grand projet de rénovation d'un pont figurant sur la Liste des Ouvrages d’art Prioritaires dont les travaux ont déjà été réalisés, on peut citer le viaduc de Gentbrugge."
En effet, celui-ci vient d'être terminé. Mais des gens se plaignent à nouveau des nuisances sonores.
Paul Meekels: "La problématique du bruit et des joints pour ces infrastructures est complexe. La grande difficulté réside dans le fait que vous travaillez sur une infrastructure existante soumise à des restrictions, associées à une pression et une intensité du trafic très élevées. L’Agence flamande en charge des routes et de la circulation, prend les plaintes au sérieux et procède dès lors à des mesures objectives du bruit. En outre, en collaboration avec le Centre flamand de la circulation, elle étudie les éventuels effets des ajustements de la limite de vitesse – sur le bruit, la sécurité routière et la fluidité."
D’autres exemples récents?
Paul Meekels: "Les ponts sur la Hennaulaan à Zaventem sont actuellement en cours de remplacement. Tout comme le pont Meulestede à Gand. Ce pont fera d'abord l'objet d'une réparation temporaire car il a été heurté et était hors service. En outre, plusieurs ponts sur la E34 dans la région d'Anvers et plusieurs ponts sur la E40 entre Bruxelles et Gand ainsi qu’en région gantoise seront rénovés ou remplacés au cours des prochaines années. Un autre beau projet concerne la E40 qui enjambe la ligne de chemin de fer à Erpe-Mere. Un projet très complexe qui consistera à remplacer un pont sur l'une des autoroutes les plus fréquentées, qui enjambe une des lignes ferroviaires les plus fréquentées de Belgique. Ces prochaines années, des travaux seront également réalisés sur les ponts de l'échangeur de Zwijnaarde."
"Il existe également des exemples concrets de ponts classés en catégorie 4, comme le pont de Steenbrugge, un pont mobile situé sur l'un des axes d’accès à Bruges les plus fréquentés. Le viaduc de Boorsem constitue est un autre exemple de pont qui sera rénové pour éviter que son état ne s’aggrave."
Y a-t-il un projet que vous aimeriez aborder spécifiquement?
Paul Meekels: "La rénovation du viaduc de Vilvorde. Celui-ci se compose de plusieurs parties dans un état différent, l'une d’elles étant classée en catégorie 4. Grâce à une réparation ciblée et très rapide, son état s’est déjà entre-temps amélioré. Cependant, afin de sécuriser l'avenir du viaduc, éventuellement avec une voie supplémentaire, une rénovation radicale s’imposait. Sur laquelle planchent aujourd’hui pleinement l’entrepreneur et le bureau d’études. L'objectif est que ces travaux se réalisent dans les prochaines années."
Préparer toute l'infrastructure des ponts pour l'avenir est très ambitieux. Mais est-ce également faisable?
Paul Meekels: "Le défi n’est pas des moindres. Nous disposons donc maintenant d’un plan d'action jusqu'en 2030, mais nous devrons aussi continuer à investir dans l'entretien, la robustesse et la sécurité de notre infrastructure au cours des décennies suivantes."
"Réaliser le plan tel qu'il se présente aujourd’hui dans ce délai exigera beaucoup d'efforts. C'est pourquoi il faut trouver un équilibre entre remplacer et rénover. C'est important non seulement parce que les budgets doivent être utilisés le plus efficacement possible, mais aussi pour limiter la consommation des matières premières – beaucoup plus grande en cas de remplacement. Lorsque l’on opte pour la rénovation, la durée de vie restante devra cependant être suffisamment longue et les risques limités. La décision se prend au cas par cas."
Quelles sont les étapes à suivre pour s'attaquer à tel ou tel projet?
Paul Meekels: "Ces étapes sont diverses. Évidemment, il y a d'abord toute une phase de planification lors de laquelle s’effectuent l’étude de faisabilité et la concertation avec les parties prenantes."
"En partant de la conception proprement dite, nous passons parfois, en fonction des ambitions et des objectifs visés, par des appels d'offres, la désignation d'un bureau d’architecture ou d’étude ou recourons, de façon limitée, à nos propres conceptions. L'exécution ou la construction proprement dite peuvent quant à elles passer par un appel d’offre traditionnel, par lequel un entrepreneur réalisera la conception, jusqu’à une procédure Engineering & Construct ou Design & Build. Dans ce dernier cas, il sera également demandé à l'entrepreneur de réaliser l'ensemble de la conception. Il est également possible de travailler par le biais d'une procédure Design Build & Maintain (DBM) ou Design Build Finance & Maintain (DBFM). Ces dernières sont considérées comme des partenariats public-privé (PPP) par lesquels l’entrepreneur prendra également en charge le financement et l'entretien de l'infrastructure et sera rémunéré par des indemnités de mise à disposition durant les années qui suivront la construction (généralement pour une durée typique de 30 ans)."
Les autorités vont-elles donc faire appel au privé dans les années à venir?
Paul Meekels: "Certainement. Seule une collaboration intensive et efficace entre le secteur public et le secteur privé nous permettra de mener à bien le grand défi auquel nous sommes confrontés aujourd'hui."
Comment contrôle-t-on la qualité lorsque l’on travaille dans autant d'endroits?
Paul Meekels: "Maintenir le niveau de la qualité tant de l'exécution que des produits utilisés sera un sacré défi. En tant que maître d’ouvrage, nous ne réussirons pas à contrôler totalement cette qualité par le biais d'inspections et d’agréments. Nous comptons également sur la collaboration avec les producteurs, les entrepreneurs et les parties indépendantes, tous s'engageant à recourir à la certification volontaire. Toutes les parties concernées seront ainsi gagnantes. En tant que maître d’ouvrage, nous pourrons ainsi avoir suffisamment confiance en le produit ou le service avant qu'il ne soit livré ou exécuté sur le chantier. De cette manière, l’entrepreneur limitera également les risques liés aux produits non-conformes et de mauvaise qualité. Et le producteur du produit saura à l'avance que son produit répond aux exigences du cahier des charges et sera accepté sans devoir attendre les résultats d'agréments supplémentaires.
Vous comptez procéder au monitoring et à l’entretien par le biais d’outils et techniques contemporains. Vous savez déjà lesquels?
Paul Meekels: "À l'avenir, nous voulons utiliser des techniques modernes pour travailler plus efficacement, moins perturber le trafic et assurer le suivi de notre patrimoine de façon plus continue. En collaboration avec des instituts de recherche, nous explorons déjà plusieurs de ces nouvelles techniques.
"Nous étudions par exemple s’il est possible d’utiliser les images satellite pour déterminer les tassements – non seulement des ponts mais aussi des digues. Les tassements et fluages avertissent en effet d’un problème et sont dès lors surveillés. Nous vérifions actuellement si ces tassements pourraient être surveillés avec suffisamment de précision et de fiabilité sur la base de l'analyse des images satellite."
"Au lieu qu'un inspecteur des ponts doive inspecter visuellement de près l'ensemble du pont, ce qui implique l'utilisation de plates-formes élévatrices et entraînera souvent des perturbations du trafic, nous étudions s’il ne serait pas possible de procéder à ces inspections au moyen de drones. Un développement qui semble intéressant surtout pour les endroits difficiles d'accès. À côté de cela, nous examinons s’il ne serait pas possible de remplacer l’inspection visuelle complète de l’ouvrage par la prise d'images avec des drones. Pour rendre ces grandes quantités d'images gérables et traitables, nous étudions également la possibilité de les associer à des images 3D et de recourir à l'intelligence artificielle (IA) pour permettre à la machine de détecter plusieurs défauts ou défaillances."
"Plusieurs éléments pourront être surveillées au moyen de capteurs installés dans ou sur la structure. Nous appliquons par exemple des capteurs à fibre optique pour surveiller la résilience à différents endroits de la structure. Cette surveillance s’effectue en continu et permet d'alerter très rapidement en cas de changement majeur et soudain. Nous voulons maintenant convertir les signaux de ces capteurs en données utilisables et interprétables permettant de visualiser le comportement de la structure. Nous étudions également la durée de vie de ces systèmes, y compris la lecture des signaux."
Quel rôle le BIM peut-il ici jouer?
Paul Meekels: "La méthode BIM constitue une méthode très importante pour l'avenir. Bien qu'il soit déjà largement utilisé dans le secteur du bâtiment, le BIM n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements dans le domaine des travaux d’infrastructure. L'AWV est en train de développer une Bibliothèque de Types d'Objet (OTL) avec toutes les entités du Département de la Mobilité et des Travaux Publics, à la fois pour l'infrastructure routière, les installations EM et les travaux de génie civil. L'objectif à l’avenir consiste à utiliser le BIM non seulement pour la conception et la construction, mais aussi à utiliser ces modèles BIM et les données qui y sont liées pour la phase de gestion ultérieure."