Caroline Voet veut 'attaquer' les immeubles de bureaux en béton des années ‘60, ‘70 et ‘80

Quelle est votre devise?

"Carpe Diem. Je veux être ouverte à l'inattendu. En tant qu'architecte, chercheuse et enseignante, je suis active sur différents fronts. Bien que ceux-ci réclament une approche différente, j'aime rechercher une sorte de pollinisation croisée. Et à chaque fois, je me réjouis de voir à quel point ces différentes expériences s'enrichissent mutuellement.

J'aime le dialogue et les échanges intensifs avec les étudiants, les collègues chercheurs, les autres architectes, les maîtres d’ouvrage, etc. Mais je tire tout autant d’énergie dans le contraire. Comme m'isoler pour concevoir, pour rédiger un texte.

Votre petit plaisir coupable préféré?

"Aucun plaisir n'est coupable. Mais ce qui me procure un plaisir incroyable, c'est de collectionner de l'art, une œuvre qui me touche, dont je connais l'histoire sous-jacente. J’ai par exemple dans mon bureau un dessin de Christian Kieckens qui me rappelle nos magnifiques années de collaboration. J'ai aussi une sérigraphie de Wim Wauman que j'ai rencontré à sa Blauwhaus à Waasmunster, un meuble de Rikkert Paauw que j'ai rencontré en compagnie de mes étudiants à Tallinn, une sérigraphie de la graphiste Annelies van Oost, avec laquelle j'aime collaborer... Outre leur histoire sous-jacente, il faut aussi que ces œuvres s'intègrent dans notre petite maison, qui devient peu à peu un cabinet de curiosités."

Votre héros de tous les temps?

"Christian Kieckens, mon mentor malheureusement décédé l'année dernière. Bien qu'il ait enseigné à Anvers, je n'ai vraiment appris à le connaître qu'à l'Architectural Association (AA), où nous avons fini par enseigner ensemble. Christian organisait la spatialité comme personne d'autre. C’est lui qui m’a fait découvrir Dom Hans van der Laan. Il me lançait des défis et m'a motivée à devenir meilleure en architecture, en scénographie, en écriture. Nous avons finalement collaboré très étroitement pendant plus de trois ans et nous avons continué à nous voir régulièrement par la suite. En 2017, par exemple, nous sommes partis ensemble et avec 50 de mes étudiants en voyage à Milan."

"Comme héroïne, on peut aussi citer Marie-José Van Hee, que j'ai déjà rencontrée durant mes études. J'ai été amenée à réaliser des maquettes pour elle et pour Robberecht & Deam, pour la Halle municipale sur la place Emile Braunplein à Gand. Une quête fascinante de la spatialité. Très intense, une véritable immersion. À l’instar de Zaha Hadid, Marie-José Van Hee a longtemps été l'une des rares femmes dans un monde d'hommes. Avec un style authentique et obstiné, ils ont été, et sont toujours, un exemple. Pouvoir collaborer étroitement avec ces deux architectes fut un véritable privilège."

Votre endroit préféré dans le monde?

"L'abbaye de Roosenberg à Waasmunster. Une création de la main de Dom Hans Van der Laan, une sorte d'ode à la vie ordonnée. Sobre, épurée, mathématique. Dans mon dernier ouvrage, je la décris comme une ‘House for the Mind’.

"Pour écrire, j’ai séjourné un certain temps au couvent et j'ai vraiment appris à apprécier l'endroit en tant que lieu de silence. J'y ai vécu selon les règles des sœurs. Mais leur rythme quotidien strict n'était pas du tout restrictif, que du contraire. Il m’apportait du calme et de l’espace. Pour la concentration et la contemplation. Et l'amour des sœurs était un cadeau. Et quand j'avais besoin de sortir? J’enfilais mes chaussures de marche et j’allais faire du jogging dans le magnifique parc."

Après le départ des dernières sœurs, l'abbaye est restée inoccupée pendant quatre ans. Mais elle va désormais être joliment réaffectée. Le bâtiment continuera à remplir son rôle d'infrastructure d’accueil ouverte et sera utilisé pour accueillir des patients en soins palliatifs. L'objectif consiste à ce que les proches des malades, qui ont souvent une tâche difficile en tant que soignants, puissent également y séjourner temporairement."

Johan Rutgeers -

Le sommet de votre carrière?

"Le Prix Alex Stanhope Forbes, qui a couronné mon travail de fin d'études ‘Fiber Space’ à l'école AA, m'a donné confiance en moi avec un projet plutôt controversé. Peu après, j'ai décroché le Prix Godecharle, pour le projet ‘Cybernautica’. Un concept futuriste pour une ville flottant sur la mer. Ce projet lutte contre la surpopulation grâce à sa capacité d'autogénération et d'organisation. Et il s'adapte aux besoins en constante évolution de la ville. En fait, je ressens encore et toujours la même fierté à chaque réalisation, qu'il s'agisse d'un bâtiment ou d'un livre. La réussite de mes étudiants ou de mes collaborateurs me donne aussi chaque fois un coup de boost."

Qu'y a-t-il sur votre ‘liste de choses à faire avant de mourir’?

"Le Portugal! Je devais y aller l’an dernier avec mes étudiants. Mais le Corona est arrivé... L'année prochaine se tiendra à Lisbonne la 6ème Triennale d'Architecture, un projet dont je suis co-commissaire. Espérons que celle-ci pourra avoir lieu!"

Quel événement embarrassant préféreriez-vous ne pas raconter (mais vous allez quand même le faire ici)?

"Alors que je visitais un chantier dans mes premières années, les entrepreneurs se demandaient tout haut ‘quand l'architecte va-t-il arriver?’. Bref, pas facile pour débuter. En vieillissant, ces situations sont heureusement moins fréquentes. Mais en étant jeune et une femme de surcroît, on rencontre encore régulièrement des difficultés dans le monde des architectes. Et cela se perpétue encore partout. Il suffit de feuilleter les revues spécialisées... On y trouve principalement des réalisations d'hommes. Même nos Maîtres-Architectes sont uniquement des hommes."

"Il reste donc encore du pain sur la planche. Structurellement, il faut du changement en ce qui concerne le congé parental: il doit être plus long et également accessible aux hommes. À côté de cela, il ne faut pas renoncer à briser des attentes profondément ancrées. Et les médias devraient se pencher davantage sur toutes les réalisations de qualité signées par des femmes architectes. Il faut revoir l’histoire avec un regard nouveau, ouvert. Il existe entre-temps des initiatives qui vont dans ce sens. Comme les initiatives de l’Institut Flamand d’Architecture 'Wiki Women Design', la page Instagram @WomeninArchitectureBelgium ou le site web Women Writing Architecture."

En quelle innovation placez-vous de hautes attentes?

"La moitié des étudiants en architecture sont des étudiantes. Un bel équilibre qui s'immisce de plus en plus dans la pratique. Mais la politique doit également suivre. Mon souhait? Une première femme Maître-Architecte flamand.

À quel endroit, quel immeuble, quel bâtiment, quel projet aimeriez-vous vous ‘attaquer’?

"Aux immeubles de bureaux des années ‘60, ‘70 et ‘80. Nos villes regorgent de telles structures en béton et beaucoup d'entre elles sont aujourd'hui en piteux état ou ne répondent pas aux normes. La solution la moins chère consisterait à les démolir, mais ces immeubles possèdent de nombreuses qualités. Nous devons donc les chérir, les réutiliser de manière durable et circulaire. Leur surdimensionnement constitue une bénédiction à cet égard. Non seulement pour les mètres carrés ‘utiles’ mais aussi pour les bols d’air libres: verdure, aires de jeu, espaces de détente..."

Quel professionnel de la construction aimeriez-vous voir prendre place dans le confessionnal d’un prochain numéro?

"Tom Thys. Ingénieur-architecte belge et collègue à la KU Leuven, qui possède son propre cabinet d’architectes éponyme à Bruxelles. Son travail est très inspirant et authentique. Comme nul autre, il arrive à donner aux projets de grande envergure un caractère poétique et humain.