Dans notre pays, nous avons longtemps sous-estimé l'intégration de la végétation et de l’eau

Quelle est votre devise?

"Nietzsche disait: "face à la peur qui incite à l'inertie, la créativité offre la possibilité d'inventer demain." Je considère cette affirmation comme un défi pour nous, architectes. La pandémie, la crise climatique, la crise énergétique, la pénurie de matières premières... Tout cela montre que nous devons apprendre à traiter notre monde différemment. Impossible de continuer comme nous le faisons depuis des décennies. Pour rectifier ce qui va actuellement de travers, il faut de la créativité. Et en tant qu’architectes, nous pouvons apporter notre pierre à l’édifice".

Votre petit plaisir coupable préféré?

"J’aime observer le monde qui m’entoure depuis une terrasse ou un banc dans un parc. Comment les gens se déplacent, comment ils s'assoient, comment les enfants jouent... On constate souvent qu’un lieu peut être utilisé d'une manière totalement inattendue. Une manière complètement différente de celle imaginée par ses concepteurs. En y regardant de plus près, je découvre ainsi de nouvelles possibilités, des points de vue qui élargissent et enrichissent ma vision de l'utilisation de l'espace public. En outre, je trouve aussi cela tout simplement très plaisant."

Votre héros de tous les temps?

"L’architecte et urbaniste espagnol Manuel de Solà-Morales. Il a conçu des espaces publics de qualité à l'échelle internationale. Également dans notre pays. Il a par exemple conçu la place de la gare et la gare des bus près de la gare de Louvain. A Anvers, il a participé aux premiers concepts pour le quartier ‘Het Eilandje’. De même qu’aux plans pour rénover le Keyserlei et l’Operaplein."

"Après mes études d'architecture, je suis partie à Barcelone pour acquérir des connaissances supplémentaires, et il a été l'un de mes professeurs. L’attention particulière qu'il porte à l'urbanisme m'a incitée à épurer davantage mes concepts. À jeter un regard nouveau et rafraîchissant sur la ville et les nombreuses possibilités qu'un lieu peut offrir. Ne lissez pas les aspérités d'un tel lieu, mais montrez-les et utilisez-les comme levier – tel était son credo. Exprimez sa qualité via une intervention minime. Notre collaboration a été intense et il m'a vraiment poussée dans mes derniers retranchements. J’ai ensuite travaillé pour lui pendant un petit temps et ai également appris comment concevoir des espaces publics de qualité dans la pratique."

Votre endroit préféré dans le monde?

"En vacances, j’aime souvent visiter des villes: Copenhague, Lisbonne, Berlin... Plus récemment, je suis allée à Ljubljana. Une ville marquée de l'empreinte de l'architecte slovène Jože Plečnik. Il y a conçu l'église Saint-François d'Assise, la place du marché, le triple pont Tromostovje, la bibliothèque nationale et universitaire, le cimetière de Žale, etc. Parallèlement, il a fait en sorte que la rivière Ljubljanica forme un énorme atout pour la qualité de la ville. Cet aspect, surtout, frappe les esprits."

"Dans notre pays, nous avons longtemps sous-estimé l'intégration de la végétation et de l’eau, mais entre-temps, nous avons également commencé à saisir leur importance. Beaucoup de choses se sont déjà améliorées en peu de temps, et cette évolution ne fera que se poursuivre."

Le sommet de votre carrière?

"À Courtrai, il a fallu modifier le cours de la Lys pour permettre le passage de plus gros bateaux. Notre cabinet a conçu une partie des berges et a construit la Passerelle du Collège dans un quartier alors encore oublié. Cette passerelle en forme de S pour piétons et cyclistes était nécessaire pour mieux réguler la navigation fluviale, mais allait aussi marquer le début d’une revalorisation majeure pour le quartier. Avec la végétalisation des berges, la passerelle a transformé ce quartier en un espace expérientiel où il est agréable de se promener, de faire du jogging et du vélo. Au pied de celle-ci, nous avons aménagé un bar en plein air. Un lieu de rencontre chaleureux où j'ai récemment entendu un couple dire: “plus besoin d’aller à la mer, on est très bien ici.”

 Qu'y a-t-il sur votre ‘liste de choses à faire avant de mourir’?

"Celle-ci est encore tellement longue...! Vienne a récemment été élue comme la ville offrant la meilleure qualité de vie. Il faut donc absolument que j'y retourne. Mais au sommet de cette liste figure le Japon. Ce pays, sa société, son architecture sont si différents de ce à quoi nous sommes habitués en Occident. Il y a tellement à découvrir et à apprendre par la compréhension mutuelle et les échanges. L'an dernier, nous avons accueilli quelques étudiants japonais. Le regard qu’ils portent sur notre architecture et la manière rafraîchissante avec laquelle ils travaillent sur les projets étaient très intéressants. Je pense qu’il serait bien de faire le trajet inverse. Mais un tel voyage nécessite du temps. Mais ça viendra un jour."

Quel événement embarrassant préféreriez-vous ne pas raconter (mais vous allez quand même le faire ici)?

"Lors de mon premier jour de stage, on m'a demandé de faire du café. Histoire de définir les rôles. Mais quand j'ai apporté le café, j'ai réussi à renverser toute la cafetière sur le bureau. Papiers, plans, tout était trempé. J'étais gênée à mort... Mais on ne m'a plus jamais demandé d'apporter le café."

En quelle innovation (dans le domaine de la rénovation) placez-vous de hautes attentes?

"La gestion de l'eau de pluie. Cela ne semble peut-être pas très innovant, mais ce domaine bénéficie d’une grande attention et nécessite une vision plus intelligente pour utiliser cette eau de pluie de manière plus efficace, plus sensée et plus consciencieuse. Au niveau de l’aménagement de l’espace public surtout, nous devons accorder suffisamment d’attention aux points suivants: le désasphaltage, la collecte, la filtration, l’infiltration différée, etc. Et, dans le prolongement de cela, aussi intégrer de la végétation qui soit résistante au climat, variée et plantée dans un sol adapté."

"Dans le dense tissu urbain d'Ixelles, nous avons récemment aménagé des jardins de pluie ou des oueds urbains. Quelques emplacements de parking ont été sacrifiés à cet effet, ce qui aurait été inimaginable il n'y a pas si longtemps. Sur les conseils d’un architecte-paysagiste, nous avons ici prescrit des plantes pouvant supporter les périodes tant sèches qu’humides. En effet, pour garantir la réussite d’un projet, il faut, en tant qu'architectes, s’entourer de partenaires compétents."

À quel endroit, quel immeuble, quel bâtiment, quel projet aimeriez-vous vous ‘attaquer’?

"Au port de plaisance du Royal Yacht Club à Bruxelles et ses abords. Un lieu bien caché entre le port, les bâtiments industriels et des voies d'accès très fréquentées. Une île en soi. Multiple a élaboré pour ce site un plan directeur destiné à libérer son potentiel. Celui-ci pourrait devenir un nouveau poumon vert, une sorte de parc nautique pour les quartiers nord. Pouvoir mettre ce plan directeur à exécution serait fantastique."

Quel professionnel de la construction aimeriez-vous voir prendre place dans le confessionnal d’un prochain numéro?

"Olivier Fourneau, du cabinet d'architecture liégeois éponyme. Nos deux équipes sont complémentaires et collaborent régulièrement. Il y a toujours un échange passionnant et enrichissant. Je suis déjà curieuse de lire ses réponses."