Hera Van Sande: une touche-à-tout avec un cœur pour le modernisme japonais

Quelle est votre devise?

"Soyez ouvert à l'émerveillement. Nous avons pratiquement été programmés pour regarder les choses d'une certaine manière, que nous ne les voyons en fait plus réellement. Pas sous tous leurs aspects, en tout cas. Il faut s’arrêter plus souvent. S’imprégner des petits détails. Ne plus rien prendre pour argent comptant. Dans son livre ‘Ode aan de verwondering’ (Ode à l’émerveillement, ndt.), Caroline Pauwels lance un appel passionné à regarder à nouveau le monde avec nos yeux d’enfant. Selon elle, la plupart d'entre nous ont perdu cette innocence quelque part sur le chemin de l'âge adulte. Ce qui est regrettable. L’émerveillement donne de la couleur à la vie, stimule l'énergie, nous aide à repousser nos limites."

"Certains d'entre nous, heureusement, puisent encore dans cette force. Comme l'exposition Freeing Architecture de Junya Ishigami, par exemple. Qui déborde d’une fantaisie délicieuse. Le célèbre architecte Toyo Ito organise lui aussi souvent des ateliers avec des enfants. Ils portent un tout autre regard sur les projets, les villes, le monde. Et c'est tellement enrichissant. Nous devons vraiment veiller à ne pas perdre cela."

Votre petit plaisir coupable préféré?

"Les livres. Parfois, je fais vraiment un détour pour éviter de passer devant une librairie. Sinon, je craque. Depuis mon enfance, je suis possédée par la question ‘pourquoi’. Parfois au grand dam de ma famille. Ma mère était professeur d'histoire de l'art et m'a transmis cette passion. J'ai commencé à collectionner les livres dès l’âge de 14 ans. D’abord des livres d'art, pour découvrir l'histoire derrière les œuvres. Peu après est venue s’ajouter l'architecture. Puis mes centres d'intérêt n’ont cessé de s’élargir (et le manque de place sur les étagères est devenu de plus en plus problématique). Un point commun: il s’agit généralement de livres informatifs, même si je ne crache pas sur un bon roman.

Votre héros de tous les temps?

"Toyo Ito. J'ai été passionnée par l'architecture japonaise toute ma vie. En 1989, j'ai découvert Ito à Europalia Japon et j'ai immédiatement décidé de faire de son œuvre le sujet de mon mémoire. Plus tard, nous avons même travaillé ensemble sur son pavillon à Bruges et sur les deux concours pour le Waalse Krook à Gand. Sa caractéristique? Il remet toujours tout en question. Ses créations sont sans prétention, harmonieuses, presque enfantines, elles repoussent les limites. Elles sont aussi à la fois chaleureuses, humaines."

"Mais j’ai encore un second héros... Dirk De Meester, ingénieur civil-architecte et depuis des décennies chargé de cours à temps partiel au département Architecture & Urbanisme de l'Université de Gand. Pendant mes études, il a été mon directeur de conception, puis j'ai également effectué mon stage chez lui. Aujourd'hui, c’est un très bon ami et un mentor vers lequel je peux toujours me tourner. Aucune question n'est jamais de trop. Il est mon filet de sécurité personnel."

Votre endroit préféré dans le monde?

Le Japon. Qu'auriez-vous pensé? Au Teshima Art Museum, l'architecte Ryue Nishizawa et l'artiste Rei Naito ont créé une coquille de béton de 60 x 40 mètres. Une immense coupole vide, une sorte de goutte d'eau avec deux grandes ouvertures, dans lesquelles deux rubans se balancent au gré du vent. Dans le sol, des gouttes d'eau bouillonnent et se frayent un chemin. Les visiteurs ne sont pas autorisés à parler ni à prendre des photos. Seuls le vent et le silence règnent ici en maîtres. Une expression sublime de la philosophie japonaise: laisser de côté certaines choses pour aller à l'essentiel."

Le sommet de votre carrière?

La création du cabinet d’architectes JUNO à Gand il y a 7 ans. Dès le début, nous avons formé une chouette équipe, et maintenant celle-ci s'appuie sur quatre dames enthousiastes qui se donnent à fond. Pour le moment, nous rénovons notre bureau sur le Vlaamse Kaai. Je ne vous dirai cependant pas à quoi celui-ci ressemblera précisément. Mais j'espère et je crois que ce sera un tournant... Nous vous tiendrons informés le moment venu."

Qu'y a-t-il sur votre ‘liste de choses à faire avant de mourir’?

"Passionnée d’architecture japonaise, je me sens, encore et toujours, aspirée par ce pays. Mais peut-être devrais-je regarder plus près de chez moi. Voyager à travers l'Europe, apprendre de nos anciens et nouveaux maîtres. Sentir, expérimenter, toucher leurs œuvres. Les laisser m'influencer."

Quel événement embarrassant préféreriez-vous ne pas raconter (mais vous allez quand même le faire ici)?

"En tant que coordinatrice d'Archipel, j'ai un jour organisé un exposé de Luc Deleu de Top Office. Avec 350 personnes inscrites, la salle serait bondée. A 18h30, j'ai eu une intuition et je lui ai téléphoné. Son épouse a décroché et me l’a passé. Je lui ai demandé s’il fallait aller le chercher à la gare, et s'il pouvait déjà envoyer sa présentation PowerPoint ou son pdf. "Quelle présentation?", a-t-il demandé. "Je viendrai avec des dias!" J'étais dans tous mes états et ai téléphoné à au moins 1.000 personnes pour trouver des carrousels à diapositives. Évidemment, personne n’en avait. C’est seulement juste avant le début de l’exposé que nous avons trouvé le matériel approprié sous une épaisse couche de poussière à l’UGENT. Complètement morte de stress, j'ai présenté Luc au public qui l’attendait. Personne n'a rien remarqué, mais j’en fais encore des cauchemars."

En quelle innovation (dans le domaine de la rénovation) placez-vous de hautes attentes?

"J'ai beaucoup d’admiration pour Rotor et ses efforts en matière de construction circulaire. Il en va de même pour BC Architects & Studies qui fabrique de nouveaux matériaux à partir de matières premières locales. Parce qu’utiliser les matières premières et les matériaux de construction de manière durable et réfléchir selon le principe ‘cradle to cradle’ constitue vraiment la voie à suivre en architecture."

À quel endroit, quel immeuble, quel bâtiment, quel projet aimeriez-vous vous ‘attaquer’?

"De notre bureau, nous pouvons voir la liaison routière surélevée près du Lousbergkaai à Gand. Sous cette construction, il y a tant de terrains vagues, d'espaces au potentiel immense qui sont aujourd'hui principalement considérés comme des décharges. Il est possible de faire autre chose et il le faut. Un projet dont je me chargerais volontiers. Intégrer de la créativité, créer des lieux accueillants. Une ville a besoin de lieux perdus, mais avec un ‘non-programme’ agréable."

Quel professionnel de la construction aimeriez-vous voir prendre place dans le confessionnal d’un prochain numéro?

"J’aimerais à nouveau que ce soit une femme. Je pensais à Caroline Voet, une collègue de la VUB à l'époque. Une femme débordant d'énergie qui a étudié à la AA School de Londres et qui a collaboré avec Zaha Hadid, entre autres. Elle enseigne aujourd’hui à Saint-Luc, ou plutôt à la Faculté d'Architecture de la KU Leuven. Dans son travail, je décèle une énorme profondeur et une stratification. C’est également une personne très généreuse et très sympathique!"